Publié le samedi 16 janvier 2016 dans L’ECHO
Voici le texte initial (avant édition) dans son intégralité :
Art of Chase égaie les murs de Los Angeles
Chase Erachi, originaire d’Anvers, transforme l’art de rue en véritable chef-d’œuvre mural, en y incorporant une touche sacrée de conscience. Bien connues dans les quartiers de Venice Beach, ses peintures colorées rayonnent sur les murs de la Cité des Anges, mais aussi à travers le monde. Philosophe ou rêveur? L’artiste belge est, sans aucun doute, un homme d’action doué de la bombe et du pochoir.
Rendez-vous avec le-créateur-qui-colorie LA, devant la façade de la jeune entreprise CD Projekt sur Wavecrest Avenue, à deux pas du boardwalk touristique de Venice Beach. Le vent du Pacifique souffle ce jour-là, Chase termine la commande 8 bit madness pour la compagnie d’origine polonaise, connue pour son jeu vidéo à succès The Witcher.
La fresque presqu’achevée couvre la totalité d’un gigantesque pan de mur formant un coin : la création de lignes diagonales rouges et noires déborde sur deux rues. A égale distance, sur fond blanc, des éléments stylisés sont reproduits tels des motifs enivrants: avions, cerises, clés, briques, traits, points créent l’essence subtile d’une interface virtuelle.
Chase, l’allure décontractée du skateboarder, nous accorde le temps de sa pause. Direction la plage, poste de sauvetage 18, pour un entretien au son de la brise, assis face à l’océan.
A Venice Beach, on se retourne souvent sur lui en lui lâchant: « Hey, c’est toi qui peins les yeux sur les murs? » Oui, c’est lui : Chase Erachi –un prénom bien à lui mais un nom inventé de toute pièce confesse-t-il, a débarqué à Los Angeles, il y a tout juste 20 ans.
« J’ai vécu un an et demi à Beverly Hills, à l’âge de 10 ans. Papa exportait alors du chocolat belge. » raconte le trentenaire. L’aventure n’a malheureusement pas été concluante, les parents ont tout perdu et la famille a été obligée de revenir au pays. « Mais avec l’argent qu’il lui restait, mon père m’a acheté un skateboard. Et de Beverly Hills nous sommes rentrés à Borgerhout », avoue-t-il d’un sourire complice, insistant sur le contraste des deux villes. « J’ai lâché le football et ai commencé à faire du skateboard chaque jour. J’ai ainsi découvert mon propre monde : un style de vie, des autres vêtements. Glisser sur les trottoirs, regarder la ville de différentes manières. Créant ainsi mon nouveau terrain de jeu avec ma planche à roulettes, je suis tombé amoureux de l’énergie californienne ! »
A 17 ans, alors qu’il devait à nouveau doubler son année, le jeune homme décide de rendre visite à son ami de Gand qui vivait déjà à LA. « Six mois plus tard, je l’ai rejoint pour terminer mes études secondaires dans une high school. J’ai décidé de rester en Californie, en mentant un peu à mon père, lui assurant que je serais à la tête du monde avec mes études et animations sur ordinateur !»
Le débrouillard réalise son premier projet dans son école. « Je taguais dans la rue mais j’avais trop peur de réaliser une véritable création » avoue-t-il. Encouragé par cette première expérience, Chase propose d’égayer le mur d’une allée dans son quartier de West Los Angeles. « La façade de béton était sale, j’ai proposé au propriétaire de me la confier et de la rendre intéressante. Il m’a autorisé à la peindre, c’est ainsi que j’ai commencé à m’exercer. »
Petit à petit, le jeune homme doué réalise un portfolio avec des photos de ses réalisations et arpente la ville pour montrer ce dont il est capable. Futé, il a compris que Los Angeles étouffe de signaux, néons et autres panneaux publicitaires. « Difficile pour quiconque qui veut s’exposer de se démarquer, je proposais donc d’attirer l’attention avec une jolie peinture, une pièce d’art. C’était ma technique de vente ! » se rappelle-t-il.
Doucement, l’artiste crée son propre style et développe son savoir-faire pour finalement gagner de l’argent de ses productions. Il l’affirme clairement : « Il y a toujours moyen d’avoir plus, je n’ai jamais dû chercher un job depuis que je vis à LA. Je suis heureux, il y assez de boulot. Je préfère parfois galérer et travailler pour moi que d’être malheureux à bosser pour quelqu’un d’autre, uniquement pour une question d’argent. J’aime être libre de créer ce qui me plaît.»
Progressivement, son style se transforme du freestyle, un art très spontané à des concepts plus préparés et maîtrisés. Sur ce bout de Californie, la campagne Remember who you are a, assurément, révélé le bombeur aguerri. « Je créais dans le moment, comme un tagueur. J’utilisais des pochoirs pour les détails, plus difficiles à représenter. » Les réalisations de Chase attirent instinctivement. Au passage, We are all one accroche le flâneur ! L’allégorie dépeint de jeunes enfants avec l’inscription Rappelle-toi qui tu es. Sur les fresques murales disséminées de Venice Beach à Hollywood en pensant par Santa Monica, une ligne énergétique s’érige au travers de couleurs vives et formes arrondies. La simplicité enfantine s’organise autour du thème fédérateur Nous sommes tous UN.
De grands yeux naïfs et de délicats papillons s’enchevêtrent. Want what you have cacheté en orange. Des pochoirs peinturent des refrains messagers. Le turquoise Do what you love, le jaune The only time is now. L’intention du graffeur se révèle peinturlurée aussi : renouer avec l’état d’être de son enfant intérieur, aux sensations de joie, vérité, amour et émerveillement pour le monde qui nous entoure. « Nous devrions toujours nous rappeler de qui nous sommes, d’où nous venons et où nous allons. » ponctue Chase. Lucide, il ajoute : « Je parlais surtout à moi-même, ce sont des messages que je m’adressais, j’en avais besoin à ce moment. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. »
A présent, Chase préfère développer le concept en amont avant de se présenter face au mur. Il travaille régulièrement derrière son ordinateur avec le programme Illustrator. « Je ne sais pas dessiner ! », ironise-t-il.
« Peindre un mur est très satisfaisant, c’est tellement d’amusement. Je joue avec beaucoup d’éléments différents et dès que le travail est terminé, il est vu immédiatement par des milliers de personnes qui passeront par là. On vient me parler, m’encourager lorsque je peins, j’apprends énormément sur les gens de cette façon aussi. » explique-t-il.
L’art de Chase devient ainsi une invitation à s’ouvrir, à engager le dialogue. Peindre, pour l’Anversois, c’est comme la réalisation d’un puzzle qui lui procure une chaude et heureuse sensation. « C’est aussi frustrant parfois, je dois déchiffrer une énigme. La composition doit avoir du sens sur l’immeuble, pas toujours facile de jongler avec une fenêtre ou une porte ! Le processus de réalisation est une grande aventure !»
Follow you heart, graffé en rouge. Listen to your soul, imprimé en blanc… Plus de 300 créations originales de par le monde. En Belgique, bien-sûr, dans toute l’Europe, mais aussi à Tokyo et New York. Aujourd’hui, l’artiste de Flandre souhaite se consacrer à la création, dans son atelier de Los Feliz. « Ce serait cool de commencer à exposer à travers le monde, je ne me suis jamais réellement concentré sur les expositions, cette année, je m’y mets ! » Créateur et fournisseur de bonne humeur. Count your blessings, souligné en bleu. Art of Chase, c’est du belge qui inspire en couleurs et sagesse, depuis Hollywood !
Sophie Rader
www.theartofchase.com