Tu dis « Joyeux Noël », mais ça veut dire quoi ?
Solstice d’hiver, le jour cesse de diminuer, la lumière vainc les ténèbres. Noël, la joie de Dieu et de tous les hommes. « Quelle connerie, ces bondieuseries ! » aurait dit mamy. Elle est morte, maman et papa aussi. Les célébrations enjouées et arrosées autour de la matriarche sont finies depuis bien longtemps. Les morts ne reviendront pas faire chanter le cœur des déprimés.
Au pied de la crèche, nous devrions remercier le Seigneur pour sa présence à nos côtés. Pauvre type, lui aussi ! Y’a personne dans le fauteuil de cuir froid ! La date symbolique, c’est Noël, une fois encore. Doit-on s’en réjouir ? Doit-on sortir ? D’où ? De notre routine d’esclaves engoncés ? Doit-on faire semblant sous le masque de la gaieté sur commande ou mendier un peu d’amour auprès de ceux qui nous ont reniés ? Ou acheter à outrance chez les géants qui avalent nos billets de paumés et garnir de cadeaux inutiles les sapins coupés d’une planète qui crève. Bouffer à en dégueuler sur les trottoirs de démunis, de migrants dormant sur le sol glacé. Se soûler pour oublier. Une pièce, un billet, même deux dans l’escarcelle du mendiant pour ne pas culpabiliser. D’être privilégié-e. Je suis gêné-e. Toi aussi, je le sais.
Tu dis « Joyeux Noël » mais ça veut dire quoi ? Sur ton mur des obscénités où tout disparaît en un clic. Où une pensée doit être exprimée en 200 mots. Pour ou contre ? Sentence immédiate, sans réfléchir, sans chercher, sans comprendre, avoir un avis sur tout. Sais-tu le mal qui le ronge ? Ressens-tu la peine qui la tourmente ? Connais-tu le manque qui l’obsède ? Comprends-tu sa détresse ? Allongée sur le ventre, les mains sous le menton, je regarde le petit Jésus dans sa crèche. J’ai huit ans. Et lui ? Le petit gars nu, couché au milieu des animaux. Qui es-tu bonhomme ? Un bébé entouré de ses parents. Figés, comme les miens, de la peur de sans doute mal faire. Les guirlandes électriques scintillent, les ornements s’animent. Je me réjouis, à chaque fois, de retrouver les décorations imagées, que l’on pose avec maman, sur chacune des branches. L’oiseau aux plumes diaprées, la maison-champignon brillante, les sept nains bricolés. Du bout des doigts, j’effleure la délicatesse de la sphère transparente renfermant la neige éternelle, je caresse les flocons posés sur la boule mauve. Ce soir, plus fort que jamais, mon cœur d’enfant désire que Noël réveille le vœu d’aimer et celui d’être aimée. La grâce touchera-t-elle ma famille ? Le monde en sera-t-il bouleversé ? De ma candeur naïve, j’implore le petit Jésus de mes pensées désespérées. Mais y a personne !
Cette année, non plus. Les grands ne croient pas au Père Noël. Découragés, tout de jaune auréolé, ils éclatent de colère sur les ronds-points pour prouver qu’ils existent. J’ai mal, j’ai peur. Joyeux Noël, de quoi tu parles ? Le prodige des Possibles, nous avons besoin de croire. Cette année encore, je veux croire que le Père Noël existe. Sans mamy, sans maman, sans papa, j’existe. Tu existes, toi aussi, sous ton gilet jaune, d’avoir gueulé toute ta détresse sur un boulevard éventré aux voitures brûlées; tu existes, toi aussi, sous ton visage exténué d’avoir traversé les frontières pour sauver ta famille de la guerre créée par ceux qui ne veulent pas t’accueillir. Tu existes même sans maison, même sans emploi. Même sans argent, tu existes. Sans mec, sans enfant, sans gluten, sans dessus dessous, tu existes aussi. Je suis triste, impuissante aux malheurs des hommes ; alors j’écris, à la lueur de ce sapin artificiel qui brille de mille larmes, pour que toi qui fais semblant ou toi qui fais pour faire, ne te sente pas seul-e. Si tu savais comme tant d’entre nous n’y croient plus. Je t’envie, toi qui te réjouis autour d’une belle tablée entourée d’êtres chers au chaud d’une maisonnée d’amour. Je t’envie vraiment. Plus que jamais, en cette période d’agape, je crois, fort. J’en ai besoin. Pas de masque sur la misère de mon cœur en miette, pas de faire pour faire au pays des paillettes. « Alors mamy, Dieu c’est un con, peut-être que tu avais raison ». Mais j’ai besoin de croire. Si fort. Eux aussi. Le prodige des Possibles, la bonté de l’humanité. La joie au creux des hommes de bonne volonté. Tu existes. Montre à ce monde qui tu es, avec bienveillance. Il en a besoin, j’en ai besoin. Joyeux Noël, ça veut dire quoi ? Rien, ou si peu aux yeux du présent décharné. Mais je ne t’en veux pas, tu fais de ton mieux, comme moi, dans un monde tourmenté. Je crois. En moi, en toi, c’est pour ça que j’existe.
Le message de Dieu n’est-il pas, finalement, une espérance réaliste, et non un message d’idéal inaccessible ? À l’image de la croix, unissant mort et résurrection, ce fameux Dieu nous transmet, simplement, que tout peut se métamorphoser, et passer de l’obscurité à la lumière. Je peux tout comprendre mais je ne dois pas pour autant tout accepter. Je ne culpabilise pas. J’existe. La résurrection, c’est ici et maintenant. L’embellie revient toujours. Je veux croire que l’esprit de Noël guérit de tout.
#lespossiblesavecsophie
Le 24 décembre 2018
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